FAMACO, une pépite française

Elle fait partie de ces petites entreprises indépendantes qui tiennent leur place face aux géants de son marché, en l’occurrence les produits d’entretien pour les cuirs. Créée par Frédéric Pfirter en 1931, Famaco s’est imposée comme l’un des grands noms de la spécialité sous l’égide de son fils Alain. Aujourd’hui dirigée par les enfants de celui-ci, elle reste la référence pour la plupart des chausseurs et exporte avec succès la qualité Made in France. Nous avons rencontré Audrey et Bruno Pfirter pour vous.

En face d’elle les Kiwi, SaraLee et autres Barane. Des poids lourds appartenant à de grands groupes industriels. Pas de structure lourde à Chatillon, dans la région parisienne, mais une petite équipe soudée autour des représentants de la troisième génération, pour répondre avec réactivité aux besoins d’un marché en constante évolution. Celui-ci a en effet radicalement évolué dans le courant des vingt dernières années, et les cuirs noirs et marron qui le constituaient jusque dans les années 90 ont depuis lors vu arriver les peaux de couleur, les grenés, les nubucks, les exotiques, les vernis et même les métallisés. Une variété de peausseries qui nécessite des produits d’entretien adaptés, sans parler de la tendance aux patines et autres transparences qui caractérisent désormais le créneau haut de gamme. Ainsi la collection actuelle ne propose-t-elle pas moins de 45 couleurs de crèmes, une dizaine de pâtes et tout un choix de soins spécialisés dans la protection, l’imperméabilisation et le nettoyage des cuirs, complétée par toute la gamme des accessoires indispensables à l’entretien d’une collection de chaussures bien pensée. Une force de frappe en terme de produits et une réactivité qui permet à la PME parisienne de tenir la tête haute face aux poids lourds du métier.

Parmi les produits forts de la maison à côté des incontournables pâtes et crèmes (que le profane appelle les cirages), citons le lait nettoyant Raviv Cuir, les laits nourrissants à base de cire, le shampooing doux Vel Vel pour les veaux-velours et les nubucks (qui élimine les tâches et ravive la couleur d’origine), divers imperméabilisants qui protègent les peaux contre la pluie mais aussi les tâches, un assouplisseur qui permet d’assurer plus de confort dans des chaussures un peu trop étroites, des crèmes de beauté qui ravivent les couleurs des cuirs lisses et une graisse incolore, qui nourrit en profondeur les cuirs vieux ou abimés. Il y a plus pointu : par exemple les teintures permettant de changer la couleur d’un cuir, la crème teignante Famacolor à fort pouvoir couvrant, qui permet de rénover les cuirs abimés, l’huile de vison, soin régénérant qui nourrit et imperméabilise les peaux, ou la déforme indispensable pour conserver des lisses en bon état (les amateurs sachant qu’aussi bien entretenue soit une tige, si les profils de semelle sont abimés par l’usage la chaussure n’aura jamais belle allure).

Autour de cette large variété de soins, Famaco a également développé au fil des années toute une gamme d’accessoires, utilisés par les professionnels:
toutes les brosses imaginables, des lacets ronds, plats, cirés ou cordelés disponibles en sept couleurs, et pour les amateurs des chausse-pieds en bois de rose, d’acacia ou en corne véritable et de nombreux coffrets d’entretien incluant tout le nécessaire pour soigner sa collection à la maison.

Un peu d’histoire

Tout commence avec Frédéric, qui créé diverses gammes de produits d’entretien fondamentaux : cirages, nettoyants et imperméabilisants. L’affaire marche gentiment jusque l’arrivée de son fils Alain, dans les années 70. C’est lui qui trouve le nom de Famaco, en associant fama, qui signifie renommé en latin, et le suffixe co, lui aussi qui imagine le logo de la maison, inspiré par la silhouette d’homme figurant sur une bouteille de… porto, et en dupliquant celle-ci. Deux silhouettes de gentleman XIXème donc, cape et chapeau haut de forme, pour les produits Famaco. Alain Pfirter imagine aussi de faire appel à un ami chimiste pour développer une gamme de produits spécifiques, et surtout de proposer ceux-ci en petites quantités aux chausseurs. Une notion de service qui n’est pas encore entrée dans les mœurs à la fin des Trente glorieuses. C’est un succès auprès des chausseurs, incapables d’acheter leurs produits d’entretien en grandes quantités : avec Famaco ils ont la possibilité de proposer des cirages portant leur nom, et cela change toute l’image commerciale.

C’est sous sa direction également que l’entreprise accompagne l’évolution du marché, en proposant au bout du compte plus d’une centaine de couleurs de crèmes. Du sur-mesure pour les chausseurs. Son succès auprès de ces derniers l’incite à aller plus loin : il commence bientôt à fabriquer sous licence pour les grandes marques de luxe, les groupements de chausseurs et les cordonneries de luxe, et fait en trente ans de l’entreprise familiale le numéro 1 sur le marché français. Son fils Bruno, 40 ans aujourd’hui, le rejoint il y a une dizaine d’années, puis sa fille Audrey, 34 ans, six ans plus tard.
Après cinq ans d’études de gestion et de marketing, le premier a fait ses classes dans le courtage en immobilier, tandis que la seconde, titulaire d’un DESS de finances, vit une première vie professionnelle dans la banque, et à l’étranger.

Lorsqu’un poste se libère dans l’entreprise, Alain demande à son fils si « le moment n’est pas venu pour l’accompagner et donner un second souffle à la maison », et Bruno intègre Famaco. La société fait alors près de 9 millions de chiffre d’affaires et présente un potentiel de développement évident. Elle est concentrée sur le marché hexagonal et souhaite conquérir les grandes enseignes avec lesquelles elle ne travaille pas encore, se renforcer auprès des cordonniers où Bruno la trouve trop faible, et envisage de se développer à l’étranger. Déjà présente dans quelques pays d’Europe, sa marge de progression paraît indubitable. Le père et le fils choisissent d’abord de faire porter leurs efforts sur l’Allemagne, référence du marché européen de la chaussure en volume, puis au Japon, porte d’entrée vers l’Asie. Pour les mêmes raisons qui lui ont valu le succès en France, les distributeurs étrangers accueillent sans difficulté cette entreprise qui leur apporte une flexibilité que les Colonil et autres Kiwi ne peuvent offrir. Le marché du cirage est un marché assez concentré et partagé entre peu d’acteurs, ce qui facilite le travail.

Et puis arrive Audrey, professionnelle de la finance rompue aux méthodes de gestion et d’achat, familiarisée avec les marchés internationaux. Six ans plus tard, Famaco est distribué au Japon, en Chine, en Corée, dans les Emirats, en Angleterre, aux Pays-Bas, en Belgique et au Canada, et l’export qui représentait 11% du chiffre il y a quatre ans en représente aujourd’hui 20%.

Dans le même temps, la maison a élargi son territoire de marque et fournit également l’Armée, les pompiers, les hôtels…

Marketing moderne

Binôme indissociable, le frère et la sœur ont développé un marketing moderne qui leur a permis de renforcer l’image de la maison, en France et à l’étranger.

« On essaye de trouver de nouveaux produits, explique Bruno : on a fait un produit un peu plus écologique pour les cuirs à tannage végétal, on développe des produits un peu différents, et même si il n’y a pas tellement d‘innovations dans le produit d’entretien on essaye d’innover, d’être toujours dans les nouvelles tendances. On a par exemple sorti des teintures liquides, des produits que l’on n’avait pas avant parce que l’on était surtout dans le circuit chausseurs ; alors que pour les cordonniers il nous faut des produits plus spécifiques : des décapants, des teintures, une crème écologique sans solvant… »

Et puis il y a ce point fort, argument massue pour tous les vendeurs de chaussures un tant soit peu de qualité : plus de cent couleurs au catalogue. Ce n’est évidemment pas un hasard : l’ingénieur chimiste Famaco dirige la fabrication depuis plus de 35 ans, et est capable d’adapter les formules et de faire toute nouvelle couleur très rapidement. « Nous sommes sans cesse à l’affut de ce qui peut répondre aux besoins du client, précise encore Bruno :
Par exemple nous demandons à un maître bottier de nous envoyer ses peausseries, et nous voyons quelles couleurs nous pouvons faire dessus : c’est vraiment du sur-mesure et à ce niveau notre offre est unique
 ».

Entre le frère et la sœur, la répartition des tâches est parfaite. D’abord parce qu’ils ont mis au point un système de présidence qui tourne tous les dix-huit mois. « Notre père avait mis en place un truc assez sympa, explique Audrey : déjà nous n’avons pas de problème d’égo entre nous, c’est important pour que le duo marche : il n’y en a jamais un qui veut dominer l’autre, et on prend toutes les décisions ensemble. Ensuite nous sommes totalement complémentaires, de par nos expériences et nos personnalités. Je suis plus du côté gestion et finances, Bruno plutôt côté commercial. Et nous suivons le développement international ensemble, par exemple quand on choisit un nouveau distributeur on se déplace tous les deux. Et puis nous avons l’avantage de la complémentarité garçon-fille. »

Plus de cent couleurs

Et puis il y a ce fameux point fort de la maison : ses plus de cent couleurs de crèmes. Qu’il soit commerçant, chausseur ou cordonnier, le professionnel trouve absolument tout ce dont il a besoin dans le catalogue Famaco. Jusqu’aux produits griffés à son nom, aux embauchoirs siglés, aux coffrets d’entretien et même aux demi-semelles.

L’entrepreneur qui veut se lancer dans ce métier n’a besoin que d’un (ou plusieurs) fabricant(s) de chaussures et de Famaco pour démarrer son activité. A Chatillon, Christian le chef de fab’ et Vlassis l’ingénieur chimiste grec répondent aux demandes les plus spécifiques : une crème plus ou moins épaisse, plus ou moins pâteuse, éventuellement parfumée…

Les crèmes sont fabriquées dans des cuves d’aluminium de différentes tailles, les plus grosses étant affectées aux couleurs standard et les plus petites aux teintes plus rares, appelées ici « les petits coloris ». Pour les fabrications industrielles, la maison peut produire jusqu’à une tonne de produit par jour, tandis que les petits coloris restent confidentiels. Dans la préparation des crèmes interviennent paraffine, cire de Carnoba, cire d’abeille, huile de vison, un solvant (le white spirit) et de l’eau.

De nouveaux produits viennent régulièrement enrichir l’offre, comme les crèmes teignantes lancées cette année, destinées à être utilisées là où le cuir a été égratigné et sa fleur abimée. Elles teintent la peau en profondeur et comblent le trou si trou il y a. Inexistantes parce que inutiles jusqu’ici, elles répondent aux attentes d’une nouvelle génération de calcéophiles qui entretiennent leurs chaussures plus que leurs pères ne l’ont fait avant eux. La maison a même développé une crème spéciale pour les cuirs métallisés que l’on voit apparaître depuis deux ans, enrichie de particules d’aluminium destinées à réfracter la lumière.

Entreprise du Patrimoine Vivant

Labellisée Entreprise du Patrimoine Vivant en 2014, Famaco a bénéficié d’un soutien appréciable de la part de la Chambre de Commerce, qui lui a permis d’accéder de nombreuses études de marché et d’avoir accès à une plateforme de quatorze pays : « Nous n’avions plus qu’à prendre l’avion, tout était subventionné, se félicite Audrey, cela nous a beaucoup aidés parce qu’ils ont des contacts très intéressants, et que chaque contact nous a permis de trouver rapidement un distributeur. Cette organisation Team Export dépend du Conseil des Hauts de Seine et cela mérite d’être souligné parce qu’on dit toujours que la France ne fait rien pour ses petites entreprises. »

Et l’avenir ? Pour Audrey et Bruno Pfirter, il passe évidemment – aussi – par le numérique. Créé en 2012, le website Famaco présente l’offre maison et prodigue des conseils d’entretien. Repensé l’année dernière, il intègrera prochainement une newsletter et devrait évoluer bientôt en site marchand, qui visera à accélérer le développement de la marquer à l’étranger en intégrant des conseils en vidéo : comment entretenir un cuir lisse, un grené, un veau-velours, un cuir métallisé…

« Nous avons aujourd’hui des clients qui sont très présents sur Internet, précise Bruno, et y sont un peu nos ambassadeurs. C’est aussi pourquoi nous nous sommes posé la question de savoir quand nous allions venir sur le digital, parce que nous savons que nous allons venir un peu en concurrence avec ces sites, et nous devions voir comment nous positionner pour ne pas gêner ces entreprises qui nous ont aidés à prendre place sur le numérique et à prendre de l’ampleur. » Audrey précise la pensée familiale : « Le digital est quelque chose d’important et que nous ne voulons pas louper : il faut y être et nous allons le faire, sans venir en concurrence avec nos distributeurs. Nous voulons développer les réseaux sociaux, les blogs, les influenceurs… » Dont acte.

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